En France, on a subventionné les heures supplémentaires ;
en Allemagne, on a subventionné la réduction du temps de travail
La Tribune - Romaric Godin | 17/09/2013
En 2009, la France décroche de l'Allemagne sur le plan de
l'emploi malgré une récession moins forte. En cause : des choix politiques.
En mai 2008, alors que la crise financière commence à
inquiéter les agents économiques et que le prix du pétrole affole les
industriels, les courbes du chômage française et allemande se croisent pour la
première fois depuis janvier 2002. Ce mois-là, les deux taux de chômage sont
parfaitement identiques : 7,7 % des deux côté du Rhin (selon les
données d'Eurostat). Dès le mois de juin 2008, le taux de chômage
allemand passe sous son équivalent français. Il y est encore et l'écart n'a
fait que se creuser puisque, avec la crise qui a suivi la faillite de Lehman
Brothers, le chômage a baissé outre-Rhin et a augmenté en France. En juillet dernier,
le taux de chômage allemand était de 5,3 %, celui de la France à 11 %.
Moins de récession en France, mais plus de chômage
Plusieurs raisons structurelles expliquent cette différence,
mais les choix politiques n'y sont pas non plus pour rien. Le décrochage
français commence en effet au cœur de la grande crise, entre l'été 2008 et
l'été 2009. En juin 2009, l'écart entre le taux de chômage allemand et le taux
de chômage français atteint déjà 1,6 point. Etonnant quand on sait que
l'Allemagne a été frappée de plein fouet par la crise au cours du dernier
trimestre 2008 et des deux premiers de 2009. L'investissement a reculé de près d'un
tiers. Les carnets de commande se sont subitement vidés. A la fin de l'année
2009, la facture pour l'Allemagne sera salée : le PIB aura reculé de 5,1
% ! En comparaison, la France s'en sort bien : le PIB n'a reculé que
de 2,2 %.
Et pourtant, le taux de chômage atteint alors 9,6 % en
France, soit près de deux points qu'en mai 2008, alors qu'il a à peine augmenté
en Allemagne où il atteint 8 %, son point haut de la crise. Cette bonne
résistance du marché de l'emploi allemand va annoncer une décrue rapide dans
les mois suivants, alors qu'en France, le taux va continuer à augmenter,
jusqu'à 10 % en novembre 2009.
Outre-Rhin, on a réduit le temps de travail
Que s'est-il passé ? Outre-Rhin, les entreprises n'ont
pas réagi comme en France devant l'effondrement de la demande. Comme le
souligne Holger Schäfer, économiste à l'institut économique IW Köln, proche du
patronat, « pour faire face à la baisse des commandes et de la production,
les patrons allemands ont préféré réduire le nombre d'heures travaillées plutôt
que de réduire les effectifs. » Il est vrai que, dans un contexte
démographique difficile, les entreprises préféraient outre-Rhin préserver leur
main d'œuvre qualifiée. Du coup, on a joué sur tous les leviers pour réduire le
temps de travail. On a soldé les comptes épargne-temps, on a utilisé le très
généreux système de chômage partiel (le fameux Kurzarbeit),
et… on a réduit drastiquement les heures supplémentaires.
En France, on a subventionné les heures
supplémentaires ; en Allemagne, on a subventionné la réduction du temps de
travail
Pendant que l'Allemagne préservait ses emplois en réduisant
le temps de travail, la France faisait le choix inverse et, par la loi Tepa
voulu par Nicolas Sarkozy, subventionnait les heures supplémentaires. Du coup,
les chefs d'entreprise français augmentaient le temps de travail par employé et
répondait à la baisse des commandes par des réductions d'effectifs. Voici
comment une moindre baisse de l'activité en France s'est traduite par une plus
forte hausse du chômage.
Pire même, lorsque la demande internationale a commencé à
repartir à la fin du premier semestre 2009, les Allemands ont pu rapidement
remobiliser leurs effectifs pour y répondre et le chômage s'est vite stabilisé.
A l'inverse, les patrons français y ont répondu par une augmentation des heures
supplémentaires et le chômage a continué à progresser pendant plusieurs mois,
avant de reculer très lentement. L'écart né à ce moment de deux choix
différents face à la crise : d'un côté subventionner les heures
supplémentaires, de l'autre subventionner une réduction du temps de travail
flexible a créé un écart entre les deux marchés de l'emploi qui ne s'est pas
résorbé.